Monday, September 06, 2004

Marc Bosche, anthropologue, propose une réflexion sur l'interculturalité & sur l'anthropologie interculturelle

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Le nouveau site perso multimédia de Marc Bosche invite à l’exploration de l’univers fascinant de l’interculturalité. À la rencontre des cultures asiatiques, le vaste ensemble de ressources textes, images et musiques est en accès libre, gratuit et texte intégral.


Dans ce domaine, plus encore que dans d’autres domaines des sciences de l’action humaine, un effort important de recherche fondamentale est nécessaire, avant de songer à la mise en oeuvre d’applications qui ne soient ni hâtives, ni prématurées. On espère suggérer que, sur ce jeune chantier global, toutes les approches ne sont pas indifférentes. On suggère aux chercheurs en sciences humaines, de réfléchir soigneusement avant de proposer des applications, car c’est un peu du visage de la planète qui se dévoile aujourd’hui. Il ne manque ni de cicatrice, ni de beauté selon le regard que l’on porte sur elle. Et si nous pouvons encore nier être co-créateur des visions du monde, nous sommes cependant seul responsable de notre regard.

PRÉMISSES D’UNE APPROCHE SCIENTIFIQUE

On se base sur les éléments, évoqués et discutés au plan théorique dans les développements précédents I101, I 202 I203 I304 I4025, pour faire la synthèse des prémisses de recherche qui fondent, du moins à notre sens, une approche scientifique de l’interculturel, ou plutôt de l’interculturalité. II ne s’agit pas ici d’épuiser l’étude interculturelle mais simplement de lui proposer des bases aussi saines que possibles, et d’éviter les erreurs d’appréciation les plus fréquentes de ces questions.

On a formalisé ici un système de prémisses portant sur cinq niveaux d’analyse.


Prémisses portant sur la problématique interculturelle

• 1. l’anthropologie interculturelle est situationnelle
L’observation correspond à des situations spécifiques. On ne peut dissocier l’observation des acteurs, du contenu de l’interaction, et de sa trame contextuelle pour appréhender l’interculturel. En tout état de cause, on ne peut négliger deux de ces éléments lorsqu’on met en évidence un troisième.

• 1.1. : les individus sont en interaction
Celle-ci dépend des individus et ne peut être réduite à la confrontation de cultures ou de sub-cultures entre elles.
Ainsi la connaissance des cultures spécifiques aux acteurs (cultures nationales par exemple) ne suffit pas à connaître la qualité et les caractéristiques de l’interaction.

• 1.2. le contexte est global mais contextualisé
La situation interculturelle est contextualisée à des niveaux multiples. On peut parler d’une trame contextuelle complexe et surdéterminée, pour utiliser un vocable un peu désuet. Elle peut être décomposée de manière analytique en éléments ou composantes. Cependant c’est la combinaison de ces éléments, dans sa globalité indissociable, qui décrit la nature de l’interaction. L’ensemble de ces éléments dispose de propriétés émergentes, différentes des propriétés élémentaires. Ainsi le regroupement des informations partielles sur les cultures mises en contact ne rend pas compte de manière satisfaisante de la situation interculturelle globale.

Prémisses portant sur les processus interculturels

• 2. la situation interculturelle est créative
Le réel de l’interculturel est unique car il correspond à une situation particulière. La fluidité et les occurrences créatives en constituent des caractéristiques essentielles. Le changement est à cet égard irréversible, tout comme l’apprentissage induit par chaque situation interculturelle. La culture nationale ne peut pas être conçue exclusivement comme un logiciel ou un programme qui piloterait les comportements de l’individu, mais comme l’une des sources de créativité dans l’interaction. L’interaction, dans sa réalité et sa globalité, constitue une autre source de créativité et sa manifestation.

• 2.1. le phénomène interculturel est intelligible comme processus
Ainsi les métaphores du « logiciel mental hiérarchisé », ou de la « grammaire de comportements », ne peuvent le décrire de manière suffisante. Ces métaphores s’appliquent à la description de caractéristiques culturelles, ou même de structures, statiques et fermées sur elles-mêmes, non au processus de communication et d’échange social qui a la capacité de modifier le comportement des acteurs ainsi que les référentiels qu’ils mettent en oeuvre.

• 2.2. l’interculturalité peut (ou doit) être comprise comme échange, on peut même écrire : comme échange social L’échange porte sur des contenus, c’est le premier niveau, ou niveau dénotatif. Il porte aussi sur la nature même des associations que les acteurs font entre ces contenus et leur signification. Un processus d’influence individuelle sur les significations se produit, voire un processus de métamorphose des représentations individuelles. C’est la qualité particulière de l’interaction, qualité largement imprévisible, qui détermine celle de la transformation que connaissent les représentations propres à chaque acteur.

Prémisses portant sur la méthodologie interculturelle

• 3. : la résistance relative de l’interaction aux méthodologies classiques de recherche
Il semble que l’anthropologie interculturelle offre une forte résistance à la panoplie méthodologique classique de la recherche empirique, discursive, analytique en sciences sociales : ni reproductible, ni vraiment mesurable, l’interaction dépend de son propre espace et de son propre temps. Mais c’est aussi le lot d’autres sciences sociales, avec un niveau de complexité en plus.

• 3.1. l’intérêt d’identifier une variété de signes culturels élémentaires
On peut observer une variété de signes de nature culturelle entre les acteurs. Ils sont significatifs en tant que tels. Ils décrivent sur le mode impressionniste les contours de l’interaction. Ils ne sont cependant intelligibles que par sélection, classement, regroupement et interprétation. C’est à ce point qu’ils constituent pour l’observateur la base de généralisations et d’interprétation en terme de ressemblances et différences, c’est-à-dire de stéréotypes. Sorties de l’instant présent de l’interaction, pour être saisies par l’observateur, ces informations perdent leur qualité originale.

• 3.2. l’impossibilité de déterminer des différences culturelles sans recours à l’observateur
On ne peut pas regrouper les signes élémentaires afin d’isoler « la différence culturelle » qui reste indécidable sans recours à un observateur qui en fait l’interprétation à partir de sa propre subjectivité. Ainsi le chercheur doit reconnaître cette difficulté. Il ne peut se contenter de travailler sur les représentations, mais doit souligner que ces dernières sont des généralisations, sujettes aux manipulations idéologiques, à son propre ethnocentrisme, à ses préjugés.

Prémisses portant sur le statut des représentations interculturelles

• 4. : les traits culturels existent sous la forme de représentations
Les traits culturels, tels qu’ils apparaissent dans leur expression par des acteurs, qu’il soient individuels, ou collectifs (disons : sociaux), sont liés aux représentations stéréotypées qu’ont ces acteurs d’un donné comportemental et contextuel. Les acteurs font partie du processus de communication et donc du processus d’élaboration des représentations. Ainsi celles-ci ont une certaine « subjectivité » et « contingence ».

• 4.1. la méthode empirique ne permet d’identifier que des stéréotypes
La représentation des traits culturels peut varier d’un acteur à l’autre, d’une organisation à l’autre, d’une culture nationale à l’autre. Il devient difficile d’isoler tel trait culturel « étranger » sans faire référence à l’individu, à la culture nationale de celui qui énonce ce trait et sans faire référence à la situation et aux intentions qui ont amené cet acteur à formuler ce trait.
Subjectifs et contingents, on peut considérer que les « traits culturels » observés sont, de fait, des généralisations et des interprétations qui peuvent être qualifiées de stéréotypes.

• 4.2. : les représentations culturelles sont sujettes au changement
Dans le cas où on a pu isoler de telles représentations, leur stabilité pose problème. En effet dans la mesure où ces représentations stéréotypées existent par l’intermédiaire des acteurs, ces représentations varient, selon par exemple leur niveau d’acculturation, ainsi que selon les contextes où ces acteurs sont placés, et les intentions idéologiques des acteurs. Des critères de changement peuvent être : l’apprentissage des situations, qu’il soit acquisition d’information ou « deutéro-apprentissage », c’est-à-dire la modification de ses propres représentations culturelles, selon les moments du temps, ou le changement de contexte.


Prémisses portant sur la fonction des représentations, selon une anthropologie interculturelle

• 5. l’observateur est acteur dans la situation interculturelle
L’observateur, qu’il soit un chercheur ou l’un des acteurs, participe du processus interculturel. L’observateur est aussi co-créateur de la représentation. Selon son état de conscience, ou le niveau d’activité de celle-ci, il percevra une réalité interculturelle correspondante. En retour, la mise en situation interculturelle peut être l’occasion d’activer des processus « d’éveil » (ou tout du moins de prises de conscience nouvelles) qui permettent à la conscience de modifier son niveau de compréhension.

• 5.1. : l’observateur est projecteur de stéréotypes
L’observateur élabore des représentations. Ces représentations sont intégrées sous forme de souvenirs, « médiatisées » par le psychisme de l’individu. C’est ainsi un support de projection qui interprètera chacune des nouvelles situations interculturelles. À cet égard, les représentations de l’observateur (par exemple de l’anthropologue) sont tout aussi stéréotypées que celles des acteurs. Elles peuvent être traitées avec le même statut théorique. Et cela est vrai aussi lorsque l’observateur est un chercheur d’autres disciplines, un consultant, voire un « manager ».

5.2. : l’observateur est médiateur de l’intersubjectivité
Le donné culturel, l’identité de l’autre culture, comme de sa propre culture, sont difficiles à mettre en évidence sans déformation, car l’observateur est lui-même acteur. Et ses représentations ne peuvent être totalement objectives. On peut même affirmer au plan théorique qu’il n’y a pas un réel observable de l’interculturel mais une élaboration par intersubjectivité. Cette intersubjectivité se tisse de l’interaction non seulement d’acteurs de cultures différentes, mais de situations et d’observations particulières.

Une piste de recherche : une culture fabriquée

Dans la mesure où l’interaction n’est pas entièrement déterminée par des contingences culturelles et qu’elle recèle une part d’imprévisible, les acteurs peuvent être amenés à réduire celui-ci, ou à essayer de le réduire.

La référence des acteurs interculturels à une culture commune, ou à un mode spécifique et partagé de communication, peut être une tentative de réduire l’incertitude.
Par exemple, la culture du monde des affaires (« business culture ») ne serait pas l’héritage d’une « histoire partagée » mais, au moins partiellement, une fabrication. On y retrouverait les caractéristiques apparentes d’une culture, avec la manifestation dans l’interaction de traits culturels. Mais faute d’un vécu commun, (histoire partagée, vécus subtils, trame affective surdéterminée) les caractéristiques de cette culture seraient souvent postulées en des termes différents par les acteurs, selon leurs propres représentations.

La « culture d’affaires internationale » ou une « culture globale » ne seraient pas des réalités parfaitement opératoires dans l’interaction mais un recours, compréhensible et peut-être justifié, visant à préserver les acteurs de la prise de conscience des éléments imprévisibles et des contingences uniques de situations.

Le fait pour les acteurs de se référer à un « langage global », à des « pratiques uniformes », à un code du « politiquement correct », à une « éthique », bref, à une « culture internationale », bien que pratique et utile, pourrait à l’occasion masquer la créativité de chaque situation, mais non la réduire totalement.
Ainsi ce recours pérenniserait éventuellement l’utilisation massive de représentations stéréotypées portant sur d’autres cultures en le justifiant, en le traitant comme « allant de soi » ou comme évidence préalable. Il retarderait d’autant le questionnement sur ces informations. Il entretiendrait d’autant la diffusion de ces stéréotypes sur les « cultures étrangères ».

Un raffinement de ces stéréotypes peut être trouvé dans les check-lists de préparation à l’autre culture.
Elles diffusent des caractéristiques supposées de la culture d’accueil auprès du futur expatrié, du consultant, du touriste ou du voyageur. Ainsi, en tentant d’expliciter des différences, des visions par trop « managériales » de l’interculturel renforceraient des éléments stéréotypés qui auraient été postulés, et rendraient acceptables ce qui ne l'est pas toujours.

La responsabilité des professeurs, des chercheurs, des formateurs
Au lieu de réduire les barrières culturelles, les visions stéréotypées ne font que les accroître en créant et amplifiant ce qui deviendra effectivement des différences, voire des obstacles, dans la subjectivité des individus et des « opinions publiques ».




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